Défaite Des Maîtres Et Possesseurs – Vincent Message

Put… la claque de fin d’année !!!

Avec Défaite Des Maîtres Et Possesseurs, son deuxième roman, Vincent Message aborde, par le biais d’une fable cauchemardesque, un thème qui devrait nous préoccuper toutes et tous mais que nous préférons souvent ignorer, trop occupés que nous sommes à foncer droit dans le mur : celui de l’empreinte écologique toujours plus lourde de l’homme et de l’épuisement toujours plus rapide des ressources que la Terre offre à ceux qui l’habitent.

Le jour symbolique du « dépassement de la Terre », à partir duquel nous vivons à crédit, en consommant plus de ressources que notre planète ne peut en produire en un an, survient de plus en plus tôt. Dès ce dépassement, notre consommation, la manière dont nous exploitons la planète, bouleversent l’équilibre des systèmes et compromettent la biodiversité. En 2017, nous avons commencé à vivre à crédit… le 2 août. Autrement dit, nous ne sommes pas loin de consommer, en une année, les ressources que la Terre met, elle, deux ans à renouveler… Sans nous soucier des conséquences que génèrent ces bouleversements : réchauffement climatique, catastrophes naturelles… Ni des souffrances qui en découlent pour les autres habitants de la Terre…

99 - Vincent Message - Défaite Des Maîtres Et Possesseurs

Défaite Des Maîtres Et Possesseurs – Vincent Message

Dans un futur indéterminé, les hommes ne sont plus les « maîtres » et les « possesseurs » de la Terre. L’humanité au bord du gouffre a été asservie par des êtres « supérieurs » venus de l’espace. Des êtres qui tolèrent les humains. Mais en les divisant. En trois sortes. Ceux qui travaillent pour eux. Ceux qui leur servent d’hommes de compagnie. Et… ceux qu’ils mangent.

Nul besoin d’être grand clerc pour voir dans cette dystopie glaçante une allégorie du comportement des hommes à l’égard des autres espèces, auxquelles nous nous estimons supérieurs et que nous utilisons de ce fait sans honte ni vergogne, les exploitant sans la moindre retenue pour satisfaire nos besoins ou nos plaisirs. Vincent Message ne fait d’ailleurs intervenir une forme de vie « extra-terrestre » qu’en la forme, pour les seuls besoins de son récit, de son message. Leur origine mystérieuse mise à part (elle est du reste sans importance), nos envahisseurs nous ressemblent. Ils s’expriment comme nous, pensent et ressentent comme nous, s’organisent en société, travaillent, vivent en famille… Mais ils se montrent apparemment plus économes, plus raisonnables que nous.

L’auteur renverse donc les rôles et, de dominants, fait de nous les dominés. Pour nous faire comprendre ce que nous infligeons aux autres espèces et à notre environnement. S’il ne nous est généralement pas trop difficile – pour prendre un exemple parmi d’autres – de manger une pièce de viande en pensant vaguement qu’il s’agissait un peu plus tôt d’un être vivant ou, plus facilement encore, en n’y pensant même pas, je défie quiconque de ne pas avoir le cœur au bord des lèvres quand l’auteur évoque les chaînes d’abattage des humains d’élevage, quand il explique le goût exquis que trouvent les nouveaux maîtres de la Terre à la viande humaine et tout particulièrement à celle des très jeunes enfants… Impossible également de ne pas se sentir retourné quand il parle de la mort planifiée des hommes à l’âge de 60 ans, quand il évoque ces humains de compagnie malades ou blessés qu’il faut se résoudre à faire piquer…  Toutes ces choses prennent le lecteur de Vincent Message aux tripes alors que nous les infligeons pourtant quotidiennement aux animaux au motif de notre « supériorité »…

La fable est dure. Froide. Sans concession.

C’est dans un état mêlé de révolte, de colère envers moi-même et mes semblables, d’abattement, de résignation aussi, que j’ai traversé ce livre. Pour en rester toujours au même exemple que précédemment, je serai franc : il ne me fera pas renoncer à la viande. Je ne sais pas, du reste, si l’auteur lui-même est – et pour une fois je ne mets rien de péjoratif dans ce terme – un extrémiste végétarien. Ni si, le cas échéant, son roman a vocation au prosélytisme. En fin de compte, peu importe. L’histoire que Vincent Message nous raconte avec Défait Des Maîtres Et Possesseurs oblige à réfléchir, à s’interroger sur nos modes de vie, sur l’impact qu’ont ceux-ci sur notre environnement. Et surtout sur leur viabilité à long terme. Elle oblige à réfléchir aussi à cette supériorité que nous nous attribuons sur les autres espèces. Parce que sans même parler d’un asservissement comme celui dont l’humanité de l’auteur est victime, cette supériorité nous conduit à notre perte. De plus en plus vite. Et avec de moins en moins de chance de pouvoir inverser la vapeur… L’espoir n’a pas sa place dans le roman de Vincent Message : les nouveaux maîtres et possesseurs de la Terre ne se révèlent en effet pas plus doués que les hommes pour préserver la planète, pour la gérer avec « humanité » alors même qu’il se trouvent, comme nous auparavant, au « sommet ».

Quand je pense que j’ai eu ce livre entre les mains tout à fait accidentellement… Parce que j’ai accepté, après quelques hésitations, de refaire partie d’un comité de lecteurs dans le cadre du Prix bisannuel du deuxième roman organisé par la Ville de March-en-Famenne… (Un clin d’œil, au passage, à celles et ceux qui, comme moi, auront à lire le roman de Vincent Message dans ce cadre. Ils ou elles se reconnaîtront.)

Souvent, c’est le hasard, plus que les quatrièmes de couverture trompeuses ou les critiques gratuitement dithyrambiques de certains chroniqueurs littéraires, qui vous fait découvrir les livres vous marquant le plus. Défaite Des Maîtres Et Possesseurs comptera pour moi parmi eux. (Il me reste encore cinq livres à lire dans le cadre du Prix précité, mais je doute que mon vainqueur ne soit pas déjà connu…)

Un livre à lire absolument donc. Parce que le talent est là. Sur le fond. Je crois l’avoir expliqué assez (trop ?) longuement. (J’aurais pourtant encore eu tant à écrire…) Sur la forme aussi. Le style de Vincent Message est simple mais percutant. Il insuffle à son récit une tension extrême, qui ne m’a laissé aucun répit de la première à la dernière page.

De la (très) grande littérature française contemporaine ! Et un auteur que je vais sans hésiter suivre avec attention !

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