La Vraie Vie – Adeline Dieudonné

Avec La Vraie Vie, son premier roman, la jeune romancière belge Adeline Dieudonné met en scène avec une infinie tendresse deux petites existences écorchées par la malchance de leur naissance, deux mioches coincés entre un père passionné de chasse, de cadavres d’animaux, de téloche et de whisky et une mère transparente, soumise à un mari qui ne se prive pas de la rabaisser et de la battre. Des parents qui n’en sont pas. Ni l’un ni l’autre. Une famille qui n’en est pas. Ni de près ni de loin. Un endroit misérable, maudit, au fond d’une cité pourrie. Un endroit où l’amour et la tendresse ont renoncé à s’aventurer…

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La Vraie Vie – Adeline Dieudonné

Les deux petits, pourtant, échappent à la merditude du quotidien dont ils ont hérité à la grande loterie de cette salope qu’est la vie. Ils jouent la débrouille. Comme tous les gosses, ils font spontanément contre mauvaise fortune bon cœur. Ils s’amusent derrière chez eux, dans le bois des Petits Pendus. Ou encore dans le cimetière de voitures qui jouxte le quartier où ils vivent.

Toujours, le rire de Gilles, le cadet, emplit de joie sa grande sœur. Du haut de ses dix ans, elle fait de son mieux pour combler auprès de son petit frère le vide laissé par ses parents. Ils évitent les gens qui risquent, comme le leur explique la vieille Monica, de leur « assombrir le ciel » et essaient de rester auprès de ceux qu’elle qualifie de « doux ».

Cette vie brinquebalante, Gilles et sa sœur la tiennent, tout juste supportable, au bout de leurs frêles bras, au bout de leur optimisme d’enfants.

Jusqu’à l’accident qui coûte la vie au vieux glacier qui arpentait les rues de la cité dans sa camionnette et qui était devenu le complice des loupiots. Et qui dissout leur quotidien déjà précaire. Parce que la vie, qui ne se lasse décidément jamais d’être une salope, prend un malin plaisir à retirer le peu qu’ils ont aux faibles. (Souvent pour engraisser encore un peu plus des porcs trop nantis. Mais je m’égare, ce n’est pas le cas ici… Il faut croire que le roman d’Adeline Dieudonné m’émeut…)

Depuis l’accident, Gilles ne sourit plus. La hyène, qui dort dans la chambre des cadavres, est entrée dans sa tête et le dévore lentement de l’intérieur. Alors, pour lui rendre le sourire, sa grande sœur va essayer de remonter le temps et de réécrire l’histoire. Mais entre ce que croient les enfants et ce qui est possible…

Avec La Vraie Vie, Adeline Dieudonné aborde des thèmes parfois beaux, mais souvent douloureux. Elle parle, dans son roman, de l’amour qui unit un frère et une sœur. Elle parle de l’obstination que celle-ci mettra à tenter de rendre le sourire à celui-là. Une quête qui durera des années, et qui aura valeur, pour elle, d’initiation, lui faisant lentement quitter l’âge de l’enfance pour entrer dans le monde des adultes.

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La jeune romancière belge

Derrière tout cela, Adeline Dieudonné évoque aussi le quotidien d’une famille où règnent la violence et la peur. Où les contrariétés et les mouvements d’humeurs dérivent souvent en insultes et en coups. Car dans cette famille qui n’en est pas une, où on ne se parle pas, où on ne s’aime pas, le père impose sa loi à tous ceux qui vivent sous le même toit que lui.

Les éclaircies sont rares dans ce ciel plombé, mais elles existent et permettent à la sœur de Gilles de garder la tête hors de l’eau, même si des vagues poisseuses la submergent régulièrement.

Je n’ai pas été convaincu du début à la fin par la trame de La Vraie Vie, que j’ai trouvée parfois décousue, oscillant entre une noirceur à la limite du surnaturel (je repense notamment à la hyène, qui est restée tapie dans l’ombre durant tout le roman mais qui aurait très bien pu l’envahir totalement) et des épisodes presque mièvres (comme l’amourette sans intérêt ni lendemain qu’elle vit avec un de ses voisins, le Champion).

Pourtant, j’ai trouvé le roman plein de potentiel. J’ai apprécié le choix du dénouement. Sans pouvoir en dire plus à cet égard, au risque d’en dire trop.

Le style d’Adeline Dieudonné est dur, souvent noir sauf quand, parfois, elle s’égare. Les concessions qu’elle fait au bonheur sont rares. Le roman n’est pas dépourvu d’espoir, mais un espoir douloureux, qui ne tombe pas du ciel, qui demande des sacrifices. Car c’est aussi de cela que parle La Vraie Vie : de deux enfances sacrifiées par des parents indignes sur l’autel de la médiocrité. Le père est mauvais, habité par le désir de faire mal, de détruire. La mère est soumise. Pas totalement absente, mais incapable de s’interposer ou trop peu, trop tard… Gilles et sa sœur en sortiront probablement. Mais certainement pas indemnes.

Des existences peut-être pas totalement gâchées, du moins secouées. Des existences où la grisaille et l’obscurité sont la règle. Alors qu’un peu d’amour permet souvent au soleil de briller, faisant oublier les inévitables petites averses…

Un premier roman que j’ai trouvé – un brin – inabouti, mais plein de promesses toutefois. A suivre !

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2 commentaires pour La Vraie Vie – Adeline Dieudonné

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