Le premier roman d’Adeline Dieudonné, La Vraie Vie, m’avait laissé mi-figue mi-raisin. J’y voyais beaucoup de choses un peu inabouties, mais aussi beaucoup de promesses. Ayant « raté » ses deuxième et troisième ouvrages (L’Injuste Destin Du Pangolin, paru en 2020 et Kérozène, paru en 2021), c’est avec son quatrième roman qu’il m’a fallu voir ce qu’était devenue cette jeune écrivaine.
Quand ils le peuvent, S. et M. dérobent quelques jours à la clandestinité en se retrouvant dans un chalet au bord du lac. C’est lors d’une de ces escapades en amoureux que le drame survient. En sortant du chalet, S. aperçoit le corps inanimé de son amant qui flotte à la surface de l’eau.
Avertir les autorités signifierait laisser partir définitivement celui qu’elle a aimé. A cela, S. ne peut se résoudre. Elle ne peut accepter d’être séparée de M., de le laisser retourner à son épouse et à leur fils et retomber à jamais dans son anonymat de maîtresse. Alors elle ne dit rien à personne. Elle ramène le cadavre de son amant dans le chalet et en prend soin tout le week-end, comme s’il était encore vivant ou presque, découvrant et redécouvrant chaque centimètre carré de son corps, se remémorant les instants passés ensemble, le début de leur histoire. Pour partir ensuite avec lui à la fin du week-end, sans trop savoir où ils pourront aller, elle, la vivante et lui, le mort.
Cette épopée, aussi étrange que macabre, durera presque une semaine, durant laquelle S. adressera de longues lettres à la femme de M., parce que si elle est consciente de lui avoir « pris » son mari, elle ne veut pas lui voler totalement la mort de celui-ci. Ces lettres de S. sont en même temps le récit de son histoire avec M., la confession de leur adultère et peut-être aussi une tentative – mais bien maladroite alors – d’obtenir le pardon de l’épouse légitime.
Reste – Adeline Dieudonné
Autant tuer tout espoir immédiatement : je n’ai pas du tout accroché à cette histoire de cadavre de l’être aimé transbahuté ici et là par l’amante désespérée.
Très rapidement – dès les premières pages même – il m’a semblé que l’histoire dérapait, pour se réduire rapidement aux considérations saugrenues d’une hystérique incapable d’affronter la réalité, mais qui, paradoxalement, fait en même temps preuve d’assez de sang-froid pour garder auprès d’elle le cadavre de son amant et écrire à l’épouse de celui-ci. Selon moi, la forme épistolaire n’était pas le meilleur choix pour conserver un minimum de crédibilité à une histoire par essence saugrenue.
L’infidélité au centre du roman n’était évidemment pas de nature à rendre les protagonistes sympathiques. Adeline Dieudonné fait en plus le choix – que je trouve malheureux, à moins qu’il n’ait été voulu pour cette raison – de ne les désigner que par des initiales, leur enlevant ainsi une partie de leur personnalité, en faisant des êtres presque anonymes, pour lesquels il sera d’autant plus malaisé au lecteur d’éprouver de la sympathie.
Qu’elle veuille rendre ses personnages attachants ou non, Adeline Dieudonné, par la bouche de sa narratrice, donne l’impression de vouloir banaliser cette infidélité, d’en faire quelque chose d’anodin. Cela ne m’a pas paru choquant, mais plutôt malvenu. Les coucheries sur le côté ne me heurtent pas malgré tout ce qu’elles sont de condamnable, mais j’ai trouvé maladroite, inappropriée, cette tentative de justification de deux histoires d’amour parallèle, manière un peu trop commode s’il en est – dans le chef du mort surtout, mais peu importe – de n’assumer ni l’une ni l’autre.
Adeline Dieudonné
A lire Reste, on finirait par croire que les deux histoires sont aussi belles l’une que l’autre et mériter de coexister, d’autant qu’il semble possible, sous-entend S. de manière à peine voilée dans ses lettres, que personne n’en souffre. Comme s’il était concevable, ne serait-ce que l’espace d’une seule seconde, que l’épouse trompée se laisse porter par le témoignage que lui inflige – je ne vois pas d’autre terme – la maîtresse de son mari et comprenne, accepte, qu’elles étaient deux à l’aimer.
Une brève réflexion au passage. Je me plais à croire que si cette banalisation de l’adultère avait été le fait d’un écrivain mâle (et blanc de surcroît), des hordes de féministes hystériques auraient crié au scandale et que le coupable aurait été cloué au pilori. Mais j’extrapole et cela nous éloigne de notre sujet.
Adeline Dieudonné évoque – heureusement – d’autres thèmes, plus intéressants, dans son roman, comme la difficulté, sinon l’impossibilité, de faire son deuil quand on n’a pas eu le temps d’aimer l’autre comme on l’aurait voulu. Mais cela se perd un peu au milieu d’un récit saugrenu, au style que j’ai trouvé souvent trop simple. Sans parler des stéréotypes pseudo-féministes faisant – même si c’est parfois bizarrement – écho à cet essai de banalisation de l’adultère. Comme l’histoire du viol qui n’en est pas un mais quand même… Ou encore l’image de la pauvre mère de famille « obligée » de renoncer à sa carrière pour s’occuper de l’éducation des enfants. Et celle, en miroir, de l’homme qui, lui, ne renonce pas à la sienne, fait « bouillir la marmite » et s’arroge le droit, l’ignoble individu, de ne pas comprendre comment sa femme peut être ainsi dépassée par les événements. Amis des clichés, réjouissez-vous, on ressasse…
Bref, Reste m’a déplu. Par son style sans grand panache. Par les choix malheureux à mes yeux de l’auteur en la matière. Par son sujet trop tarabiscoté pour être vraiment crédible. Et par toutes ces autres choses que je viens d’évoquer un peu pêle-mêle…