Le Paradoxe D’Anderson – Pascal Manoukian

En économie, le paradoxe d’Anderson explique pourquoi un étudiant obtenant un diplôme supérieur à celui de son père n’occupera pas nécessairement une position socio-économique plus élevée. Le diplôme, comme une monnaie, est désormais susceptible d’inflation (l’accès des masses à l’éducation entraîne un nombre plus important de diplômés) et en conséquence de dévaluation (la valeur du diplôme détenu et les perspectives qu’il offre étant inversement proportionnelles au nombre de diplômés).

Une autre manière d’énoncer ce paradoxe consiste à dire que le diplôme, à l’époque actuelle, est pour l’individu une condition nécessaire mais de moins en moins suffisante à son ascension sociale.

99 - Pascal Manoukian - Le Paradoxe D'Anderson

Le Paradoxe D’Anderson – Pascal Manoukian

Au travers de ce paradoxe, qui met en scène Christophe, le père travaillant dans une usine après avoir abandonné ses études, et sa fille, Léo, qui prépare son bac, Pascal Manoukian nous entraîne sur les traces de Gérard Mordillat. Dans la région où vivent et travaillent Christophe et sa femme Aline, les usines ferment les unes après les autres. Parce que les coûts sont trop élevés, la productivité insuffisante et parce qu’il est possible de réaliser des bénéfices plus importants ailleurs.

A quelques semaines d’intervalle, le bonheur précaire qu’avaient construit Christophe et Aline vole en éclat. Elle est licenciée parce que son entreprise a délocalisé son emploi. Lui se retrouve empêtré dans une grève qu’il n’a pas voulue mais qui prive la famille de ses moyens de subsistance et qui ne s’achèvera pas sans passer par la case licenciements.

Pour ne pas que leurs enfants, Léa et Mathis, soient emportés en même temps qu’eux dans la tourmente, Aline et Christophe vont se taire et faire aussi longtemps que possible comme si de rien n’était. Mais la violence avec laquelle ils ont été privés de leurs emplois ne leur laisse qu’un infime marge de manœuvre, qui se réduit de jour en jour. Jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement et que survienne l’embrasement final.

Inutile de se torturer, en cours de lecture, pour savoir quel sera le happy end. Il n’y en a pas. Pascal Manoukian ne veut pas offrir au lecteur une histoire tragique mais avec une fin heureuse. Non. L’histoire d’Aline et de Christophe commence mal, par deux emplois perdus. Elle se finit mal aussi, par d’autres pertes. Au début comme à la fin, la violence règne. Celle qui frappe Aline et Christophe d’abord. Celle avec laquelle ils riposteront ensuite. Avec peut-être, en filigrane, cette question : la violence peut-elle parfois être légitime ? Quand un bain de sang social survient, les victimes doivent-elles se laisser mener à l’abattoir sans réagir, parce que la mise à mort de leur emploi est « légale » ou leur est-il permis de monter aux barricades et de se défendre bec et ongles ?

A cette question, Pascal Manoukian ne donne pas de réponse nette. Il brosse un tableau sombre, celui d’une réalité économique qui, quelle que soit leur combativité, ne laisse plus guère d’espoir aux Aline et aux Christophe. Un tableau sombre certes, mais un récit qui n’est pas totalement noir. Au milieu du désespoir qui les submerge, Aline et Christophe trouvent la force de préserver autant qu’ils le peuvent leurs enfants. Ils revivent ce qu’ils voient maintenant comme leurs belles années, lorsqu’ils étaient jeunes et que tout semblait encore possible. Ils se remémorent les épisodes heureux de leur vie. Ils ont même la force d’essayer de conjurer par l’absurde le sort qui s’acharne sur eux. Pourtant, leurs vies seront finalement broyées par les rouages impitoyables de la logique du profit.

Le Paradoxe D’Anderson permet d’amorcer de multiples réflexions. Une première, déjà évoquée, sur la justification – sinon l’excusabilité – de la violence. Une deuxième sur le sens de la course au profit, toujours plus destructrice, à laquelle se livrent les entreprises modernes et à que nous autres, consommateurs, encourageons peut-être plus que nous ne le voudrions.

Le livre ouvre de nombreux débats. A chacun d’y apporter sa contribution.

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