Les Aventures Extraordinaires D’Un Juif Révolutionnaire – Alexandre Thabor

En 1936, Sioma Thabor quitte Tel Aviv, sa femme Tsipora et leur fils, âgé de huit ans, pour rejoindre l’Espagne et combattre le franquisme au sein des Brigades Internationales.

Lorsqu’il laisse sa famille derrière lui, Sioma ignore qu’il ne reverra jamais sa femme, qui mourra à Auschwitz peu avant la libération du camp. Et qu’il ne reverra son fils que 22 ans plus tard, en 1958.

Au cours de ces retrouvailles, le père demande à son fils s’il veut bien raconter son histoire, celle d’un Juif né à Odessa en 1904, sioniste convaincu et qui, toute sa vie, aura combattu pour que se réalise son rêve : la création d’un état binational où Juifs et Arabes pourraient cohabiter en paix.

Alors, Alec raconte. Il raconte les premières années de son père à Odessa, au début du XXe siècle et la mort, en 1913, d’un de ses camarades, tué d’une balle par les Cent-Noirs, des monarchistes antisémites, un drame qui a fait de Sioma un insoumis et un révolutionnaire.

Les Aventures Extraordinaires D’Un Juif Révolutionnaire – Alexandre Thabor

Les Aventures Extraordinaires D’Un Juif Révolutionnaire nous emmène sur les traces de Sioma, dans un XXe siècle qui naît dans la fureur et le sang. Un XXe siècle où les révolutions et les guerres balaient les états et les peuples. Mais où les espoirs d’un monde meilleur semblent aussi permis. Tout au long de sa vie, Sioma fera sien l’aphorisme d’Héraclite : « Si tu ne cherches pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas ».

En 1924, poursuivant son rêve révolutionnaire d’une terre promise, Sioma emmène sa jeune épouse à Tel Aviv, où il espère pouvoir œuvrer à la construction de l’Eretz Israël. La Palestine est à cette époque sous protectorat britannique. Les Anglais ne voient pas d’un très bon œil l’activisme de Sioma et de ses compagnons. Sans oublier les tensions qui divisent ceux-ci quant à l’attitude à adopter à l’encontre des tant des Arabes que de l’occupant britannique.

Les années passent et la situation devient de plus en plus compliquée pour Sioma, dont la présence dérange de plus en plus les Britanniques. Pour échapper à la prison, il choisit, en 1936, de quitter Tel Aviv et de rejoindre l’Espagne, où la république menace de succomber aux attaques du fascisme.

Là aussi, les idéaux révolutionnaires de Sioma se heurtent au pragmatisme de certains de ses compagnons, au cynisme d’autres ou encore aux impératifs étatiques et notamment aux consignes, souvent très strictes, venant de Moscou.

Après la guerre civile espagnole et l’arrivée au pouvoir de Franco, de nombreux compagnons d’armes de Sioma, s’ils n’ont pas péri sous les obus ou les balles, décident, en 1939, de retourner en Palestine et d’y reprendre leurs activités en faveur de la création d’un état d’Israël. Sioma, lui, est toujours jugé indésirable. Il choisit alors de gagner la France et Paris, avec l’intention d’y faire venir sa femme et son fils, restés à Tel Aviv. Malheureusement, il est arrêté pour « extrémisme rouge » et interné au camp du Vernet, dans le sud de la France.

De là, il est envoyé par le régime de Vichy à Djelfa, en Algérie, un camp qu’il quittera après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Pour poursuivre son rêve et ses combats, en passant par Moscou d’abord, malgré les risques que ses prises de positions parfois opposées à celles des dirigeants soviétiques lui faisaient courir, puis par Jérusalem.

De Jérusalem, Sioma se rend à Paris, sur les traces de son épouse et de son fils. Il apprend que la première, arrêtée pour résistance en août 1942, a finalement été déportée à Auschwitz, où elle est morte le 22 janvier 1945, cinq jours avant la libération du camp par les Soviétiques. Quant à Alec, Sioma le retrouvera à Paris après qu’un Juste l’a sauvé des griffes des nazis durant la guerre et caché chez les Dominicains à Paris.

Sioma meurt le 26 février 1959, d’une insuffisance cardiaque, alors qu’il rêvait de retourner en Israël.

Si les idéaux qui ont toute sa vie animé Sioma et motivé chacun de ses actes sont louables, j’ai retrouvé dans le personnage dépeint par son fils, tous les travers de la figure révolutionnaire. Des idées nobles, certes, mais un goût pour la guerre et le sang aussi. Une soif de combattre. Pacifiquement parfois, mais plus souvent les armes à la main, comme le révèlent certains passages du livre, où Sioma confesse son goût pour la lutte armée (« Rien ne pouvait nous guérir de l’ivresse mortelle de la révolution, des exigences du combat que nous menions », p. 161). Ou encore les citations bibliques invitant à exterminer les ennemis du peuple élu, comme les préceptes du prophète Ezéchiel (« Je les passerai au fil de l’épée avant qu’ils ne viennent tuer mes enfants. J’en disperserai leurs ossements à tous les vents, je les donnerai à manger à toutes les bêtes de proie et je mettrai le feu derrière eux. Pour eux, les jours cruels, les jours de colère et d’ardente fureur sont arrivés. », p. 159).

Une rhétorique guerrière trop souvent entendue… Qui, à mes yeux, réduit à néant les grands principes qu’elle prétend défendre. Sans parler des libertés que s’accordent souvent les révolutionnaires au motif de ces mêmes grands principes qui les animent. Comme cette relation que s’autorise Sioma lors de son passage à Moscou. Alors qu’il évoque en même temps l’amour qui l’unit à sa femme, qu’il n’a plus vue depuis de nombreuses années…

Un autre aspect de la vie de Sioma me laisse un goût désagréable en bouche. Son fils évoque sa vocation précoce de révolutionnaire, son envie de consacrer sa vie à la poursuite de nobles idéaux. Mais en fondant en même temps une famille… qu’il n’a visiblement pas beaucoup de mal à laisser derrière lui-même s’il dit y penser souvent et s’inquiéter pour Tsipora et Alec.

Bref, de grands idéaux altruistes, le bonheur du genre humain, l’avènement d’un monde nouveau. Mais en même temps l’incapacité à dépasser son propre égoïsme, à de dépêtrer de ses contradictions personnelles et à canaliser les pulsions guerrières qui ont fait de (presque ?) toutes les révolutions que l’homme a connues des bains de sangs doublé d’échecs cuisants, que ce soit à court ou à long terme.

Tout ça m’a fatigué. Déplu même. Toute cette violence, tous ces combats, toutes ces guerres et ces morts souvent inutiles. Tous ces idéaux de pacotille qui n’ont fait que gorger la terre du sang des « ennemis », quand ce n’est pas de celui des innocents.

Je n’ai pas trouvé extraordinaire les aventures de ce Juif révolutionnaire. Avec tout le respect que je lui dois et sur base du seul livre écrit par son fils, je l’ai même trouvé stéréotypé, pour ne pas dire pathétique. J’ai conscience de forcer un peu le trait, les choses ne sont jamais ni totalement noires, ni totalement blanches, mais j’en ai assez de toute cette violence, de toute cette intransigeance. Spécialement dans le chef des Juifs, qui ont connu la plus effroyable extermination de masse de toute l’histoire de l’humanité et qui, incapables d’en tirer les leçons, sont aujourd’hui encore à couteaux tirés avec de trop nombreux peuples, au premier rang desquels les Palestiniens. Pour des raisons qui sont à mes yeux d’une bêtise abyssale.

Le débat pourrait se poursuivre, mais à quoi bon ? Les hommes restent désespérément stupides, amoureux de la mort plus que de leur prochain, plus enclins à la violence et au mal qu’au bien et à la tolérance…

Merci, malgré tout, à Babelio et aux éditions TempsPrésent de m’avoir gracieusement offert le livre d’Alexandre Thabor.

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