Le Noeud De Vipères – François Mauriac

Le Nœud De Vipères commence par une lettre. La lettre, terrible, d’un homme qui, au crépuscule de sa vie, s’adresse à son épouse et à ses enfants.

Sentant sa fin proche, Louis écrit. Il sait qu’à peine recouvert de son dernier drap, Isabelle, son épouse, à qui il reproche de ne lui avoir jamais donné l’occasion de parler, de n’avoir jamais voulu l’écouter, ne pourra rien faire d’autre que de lire jusqu’au bout ce qu’il présente comme la confession de toute une vie mais qui est en réalité sa vengeance.

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Le Noeud De Vipères – François Mauriac

La vie de Louis bascule quand il a vingt-trois ans et qu’Isabelle lui confie qu’elle en a aimé un autre avant lui. Un premier amour dont la situation dans le monde faisait un parti inacceptable pour ses parents. Sur cet aveu, Louis, pendant près d’un demi-siècle, bâtira toute sa rancœur à l’égard de sa femme et de sa famille. Prisonnier de ses origines, il n’aura de cesse de bâtir une fortune de plus en plus grande. Une fortune qui jamais pourtant ne parviendra à combler le fossé qui sépare selon lui cette aristocratie à laquelle sa belle-famille appartient du reste de la population. Une fortune qui au contraire deviendra une source de méfiance, de tension, Louis soupçonnant tout le monde autour de lui de n’en vouloir qu’à son argent. Une fortune au revers terrible donc, puisque le goût de Louis pour l’argent, qui lui aura été inculqué par une mère débordant d’amour pour son fils et qui voulait qu’il ne manquât jamais de rien, sera ce qui l’empêchera lui d’aimer les siens…

La lettre qu’il écrit, même s’il s’y égare parfois, contient des mots froids comme la mort et tranchants comme des lames de rasoir. L’ancien avocat impose à Isabelle des mots d’une incroyable dureté, mûris durant toutes ces années d’enfer qu’aura été leur mariage.

Malgré toute cette noirceur, reste chez Louis, cette chose plus forte que tout, qui justifie peut-être plus que le goût de la vengeance ce besoin qu’il a d’écrire avant de disparaître et qu’on appelle l’espoir. L’espoir sinon de se justifier, du moins de faire changer, ne serait-ce qu’un peu, le regard qu’ont toujours porté sur lui sa femme et ses enfants.

François Mauriac, avec une précision chirurgicale, dissèque la vie de deux êtres qui auraient peut-être pu s’aimer mais que leurs caractères vont inexorablement pousser à se haïr de plus en plus férocement. Une haine que ni le mariage, ni les enfants, ni les vicissitudes de la vie ne parviendront à atténuer. Au contraire, durant leurs quarante-cinq ans d’union, tout, absolument tout, sera prétexte à nourrir cette haine, à la faire croitre jusqu’à ce qu’elle dévore tout, ne laissant de place pour rien d’autre dans leur relation. Quarante-cinq ans. Louis et Isabelle auront finalement passé près d’un demi-siècle à se détester, implacablement, sans s’accorder le moindre répit, la moindre trêve, sans jamais faiblir dans la détestation de l’autre.

FRANCOIS MAURIAC

L’auteur, François Mauriac

Mais la mort est capricieuse. Elle qui s’annonçait à Louis se refuse à lui et frappe ailleurs, mettant à mal les plans de vengeance du vieil homme et l’obligeant – ce qui constitue la deuxième partie du roman – à poser un regard différent sur ce qui l’entoure. Mais comment rattraper quarante-cinq ans de haine et d’abomination ? Comment échapper à celui que l’on est, que l’on a toujours été ?

En dressant le portrait d’un homme isolé au sein même de sa famille, François Mauriac tente de répondre à toutes ses interrogations. Il le fait avec subtilité et finesse, le roman, très noir à ses débuts, se teintant progressivement d’autres nuances, la vengeance et la rancœur le cédant sinon à l’amour et à la compassion, du moins à l’interrogation, à la remise en question, premiers pas peut-être vers une certaine forme d’absolution qui n’est probablement rien d’autre que ce que Louis cherchait depuis le début.

Je le confessais à l’époque : de Mauriac, ma lecture de Thérèse Desqueyroux m’avait donné le sentiment d’un écrivain classique, au style et au propos un peu scolaire. Et auprès duquel je ne pensais pas revenir. Ce qui aurait été une erreur. Le Nœud De Vipères, peut-être un peu désuet par certains côtés, est une œuvre brillante en même temps que tranchante, que j’ai lue avec un intérêt constant.

Mon billet, déjà long alors que j’aurais, si le temps ne l’était pas compté, encore beaucoup de choses à écrire, en témoigne. Pour conclure brièvement, j’épingle une phrase du roman, terrible aveu de la faiblesse de celui qui s’est caché derrière l’impressionnant masque d’un avocat régnant en maître dans les salles d’audience et qui est vraisemblablement la clef de sa vie : « Je me hâte de déplaire exprès par crainte de déplaire naturellement. »

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